[AEF] « Le gouvernement a commis une erreur majeure en supprimant la fiscalité locale » (Philippe Laurent, CET)

AEF info : Le gouvernement a indiqué en mars que les dépenses des collectivités territoriales s’avéraient finalement moins élevées qu’anticipé en 2024 (lire sur AEF info), relevant une inflexion de tendance au second semestre, qu’il attribue notamment à ses alertes et aux contraintes attendues en 2025. Partagez-vous cette analyse ?
Philippe Laurent : Il faut effectivement être prudent sur les dépenses mais cela a toujours été le cas et dépend de la mise en œuvre des politiques publiques. Le sujet a surtout été très médiatisé. Cette réduction des dépenses a davantage concerné les régions et, dans une moindre mesure, les départements, les communes étant les collectivités locales qui assurent le plus de services publics du quotidien. Concrètement, nous n’avons pas relevé de fermetures ou de diminution importante de services publics mais des décalages d’investissement, en raison notamment du Dilico.
À titre d’exemple, concernant ma municipalité de Sceaux, nous avons un surplus de contributions en 2025 de 1 million d’euros dont 400 000 au titre du Dilico et 600 000 au titre du FSRIF (fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France), dont les critères de calcul prennent en compte le revenu moyen par habitant. Nous avons donc réduit légèrement l’autofinancement. Par ailleurs, l’augmentation de nos dépenses de personnel est moindre car nous ne créons pas de poste notamment du fait de fermetures de classe en primaire en raison de la baisse de la démographie.
AEF info. Le gouvernement a publié le 31 mars la répartition de la DGF pour 2025 (lire sur AEF info). Le ministère de la Décentralisation a rappelé à cette occasion qu’ »en trois ans, l’État aura ainsi abondé la DGF de 790 millions d’euros, un niveau historique après 13 années de baisse ou de stabilité de cette dotation » et indiqué faire ainsi preuve « de sa volonté d’accompagner les collectivités à poursuivre leurs missions essentielles de service public ». Que cela vous inspire-t-il ?
Philippe Laurent : J’attends que se tiennent les réunions qui doivent avoir lieu à Bercy avec les ministres concernés pour préparer le projet de loi finances pour 2026, le gouvernement souhaitant « donner des perspectives aux collectivités locales ». Mais que cela signifie-t-il ? Que vont être mis en place des « contrats de Millau » ou de Rodez ?
Le problème, aujourd’hui, est que 2026 s’annonce plus difficile que 2025 et qu’il n’y a pas de perspectives, pas de vision, pas de stratégies sur ce que doivent être les politiques publiques de demain dans de grands domaines tels que la transition énergétique, l’environnement. Et les équipes en place ne se projettent pas, leur pérennité dans les prochains mois n’étant pas assurée.
Le seul discours tenu est uniquement budgétaire, et non sur l’avenir que nous souhaitons pour la société, les mesures à mettre en œuvre sur le long terme. Le gouvernement d’Emmanuel Macron a commis une erreur majeure en supprimant, parce que c’était le dogme de Bercy, la fiscalité locale. Alors que les élus locaux savent très bien gérer leurs impôts, qui sont plus faciles à justifier localement. Il faut redonner des marges de manœuvre et de la liberté de gestion au niveau local.
« Le gouvernement d’Emmanuel Macron a commis une erreur majeure en supprimant, parce que c’était le dogme de Bercy, la fiscalité locale »
AEF info : Vous avez adopté un vœu pour pouvoir indemniser à 100 % les CMO des agents de Sceaux (lire sur AEF info). Ce vœu ne risque-t-il pas d’être retoqué ?
Philippe Laurent : Non car ce vœu n’est pas soumis à délibération. Une délibération en ce sens aurait en revanche été retoquée. Ce vœu a d’ailleurs été repris. Plusieurs municipalités nous ont sollicités pour s’en inspirer. Au fond, le vœu appelle à ce que le Parlement s’empare du sujet avec une proposition de loi.
AEF info : Toutes les organisations syndicales, les employeurs territoriaux et hospitaliers ont voté contre la baisse de l’indemnisation des CMO en CCFP en février (lire sur AEF info). Malgré tout, le gouvernement l’a mis en œuvre. Que cela laisse-t-il présager pour le dialogue social dans la fonction publique en général ?
Philippe Laurent : Cette mesure a seulement pour objectif de montrer à Bruxelles des économies de 900 millions d’euros. Par conséquent, pour faire le lien avec notre vœu, permettre aux collectivités locales de revenir à un taux d’indemnisation des congés maladie de 100 % reviendrait à remettre en question ces économies. Mais cette mesure a déjà des effets pervers, comme une augmentation des prescriptions de mi-temps thérapeutiques, indemnisés à 100 %.
AEF info : Comment considérez-vous la manière dont sont associés les employeurs publics et les organisations syndicales de la fonction publique à la concertation sur les retraites au travers de trois réunions d’information ?
Philippe Laurent : Ces réunions nous donnent seulement l’occasion de nous exprimer. L’âge de départ à la retraite qui sera défini s’appliquera à tous les publics, salariés du secteur privé comme agents publics. Mais la différence est que le taux d’emploi des seniors dans la fonction publique est de 100 % puisque les administrations gardent leurs agents. Ce qui a des conséquences en termes d’invalidité et sur la CNRACL. Tout est lié. Nous ne voulons pas des discussions que sur la CNRACL. Nous aurions donc préféré être associés à la concertation au même titre que le Medef.
AEF info : Les discussions actuelles autour du déficit de la CNRACL montrent à quel point le nombre croissant de contractuels déséquilibre le système. Faudrait-il les intégrer à la CNRACL, voire à la fonction publique ?
Philippe Laurent : Il convient d’adopter une approche globale en tenant compte de la CNRACL, mais aussi de l’Ircantec, de la Cnav et du Rafp. Mon intuition personnelle serait de basculer dans un système avec une caisse de retraite propre aux collectivités locales, éventuellement ouverte aux hospitaliers. Tout serait pris en compte : le régime indiciaire et les primes. Ce serait plus simple, mais je ne suis pas certain que nous nous dirigions vers cette solution.
Pour le gouvernement, le problème de la CNRACL est en partie réglé par l’augmentation des taux. Il y a dix ans, l’ancien président de la CNRACL, Claude Domeizel, était intervenu devant le CSFPT pour alerter sur la situation de la caisse. Nous avions fait un communiqué, mais personne n’avait réagi.
Tout le mérite du rapport des inspections (lire sur AEF info) est d’avoir chiffré, objectivé, et reconnu que la CNRACL avait finalement été pillée. Même si elle devrait in fine être bénéficiaire de la compensation démographique à partir de 2026. Par ailleurs, la compensation n’est pas calculée selon des équivalents temps plein mais des cotisants. Or, des cotisants la CNRACL étaient en temps partiel, mais comptés comme des équivalents temps plein. Ce qui a donné une image plus positive que la réalité.
AEF info : L’accord sur la PSC dans la territoriale est désormais entre les mains du Sénat, en attente d’être examiné en commission puis en séance plénière. Où en est-on aujourd’hui ?
Philippe Laurent : Sur ce sujet, tous les groupes politiques au Sénat semblent d’accord pour soutenir le texte, de même que le gouvernement. Il reste à trouver une place dans le calendrier pour inscrire le texte à l’ordre du jour. Il s’agit d’un des rares textes qui pourraient passer, notamment parce qu’il est soutenu par tous les syndicats.
Par ailleurs, des travaux pourraient être entamés sur d’autres chantiers, tels que les concours, sans que ça ne soit forcément coûteux pour les finances publiques. Des propositions ont été faites dans le cadre du conseil supérieur et de la formation spécialisée 2 pour alléger et organiser les concours.
AEF info : Quel regard portez-vous sur l’agenda social 2025 (lire sur AEF info) qui énumère un certain nombre de thèmes mais sans calendrier ?
Philippe Laurent : Nous étions favorables à la proposition de Stanislas Guerini de mettre en place une démarche de négociation annuelle. Rien n’empêche Laurent Marcangeli de la relancer, elle ne s’appliquera au mieux qu’au 1er janvier 2026.
Nous constatons en revanche que le fonds de prévention de l’usure professionnelle (lire sur AEF info) est à l’arrêt, de même que la question du logement des fonctionnaires (lire sur AEF info). Pourtant tout le monde est d’accord, d’après les échanges que j’ai eus avec Valérie Létard. Toutes les mesures en faveur de la fonction publique ne sont pas nécessairement coûteuses, mais encore faut-il les défendre, comme c’était le cas du programme « Fonction publique + » mis en avant par Stanislas Guerini et qui n’a pas été repris ensuite.
» Nous constatons que le fonds de prévention de l’usure professionnelle est à l’arrêt, de même que la question du logement des fonctionnaires »
AEF info : À un an des prochaines municipales, comment voyez-vous le rôle de maire employeur et comment pourra-t-il être incarné par les prochains élus ?
Philippe Laurent : Je pense que de nombreux candidats, même s’ils sont élus dans l’opposition, n’ont aucune vision de ce qu’être maire employeur signifie. Bien sûr, certains candidats peuvent avoir été fonctionnaires territoriaux ou directeurs de cabinet et connaissent les problématiques, mais les élus qui arrivent de l’extérieur n’auront pas cette vision. Cela ne les empêche d’acquérir cette sensibilité et devenir chef de l’administration locale, mais cela s’apprend.
Sur le volet technique, les maires sont aidés par la direction générale des services et la DRH, mais ils doivent considérer les agents comme des producteurs de services publics, et non comme un coût. C’est une question de culture personnelle.
Des universités des maires sont organisées après les élections municipales, dans la plupart des associations départementales, avec des modules de maire employeur. Cela implique que les maires y prennent part. Un intérêt pour cette question commence à se développer, à l’image du congrès des maires où des tables rondes sont désormais consacrées aux questions RH.