[Banque des Territoires] « Les collectivités doivent être libres de rémunérer à 100% leurs agents en arrêt maladie »
La réforme baissant à 90% la rémunération de tous les agents publics durant les trois premiers mois d’un d’arrêt maladie entrera en vigueur le 1er mars. Le gouvernement, qui a défendu la mesure, notamment dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2025, n’a pas obtenu le soutien des élus locaux. Dans une interview à Localtis, Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux, explique pourquoi.

Localtis – Les représentants des employeurs territoriaux au conseil commun de la fonction publique ont voté le 11 février contre les projets de décrets permettant l’application aux agents non-titulaires, à compter du 1er mars, de la baisse de la rémunération prévue en cas d’arrêt maladie. Pour quelles raisons ?
Philippe Laurent – Les textes semblent dire – ils ne sont en réalité pas clairs juridiquement – que l’indemnisation des arrêts de maladie ordinaire des agents doit être automatiquement de 90%. Nous ne sommes pas d’accord avec cette évolution, parce que nous souhaitons que les collectivités voulant rester à 100% de remboursement pour les trois premiers mois de l’arrêt maladie puissent délibérer pour le faire. Les collectivités veulent avoir la liberté d’action sur ce plan.
Ce serait un choix dont le coût serait assumé par les collectivités concernées ?
Pour nous, ce ne serait pas une dépense supplémentaire, puisque les collectivités payaient jusqu’à présent les agents à 100% pendant leurs arrêts de travail (pour les trois premiers mois). Ce serait en fait une économie en moins. Il m’a semblé que le ministre Laurent Marcangeli était d’ailleurs d’accord avec nous, considérant que les collectivités doivent avoir la liberté de choisir de rémunérer leurs agents malades au-delà de 90%. La décision doit revenir à la collectivité, comme cela a pu être le cas sur l’attribution de la prime de pouvoir d’achat. Mais Bercy a « vendu » la mesure comme pouvant générer 900 millions d’euros d’économies par an. Et pour arriver à ce résultat, il faut qu’elle soit mise en œuvre de manière obligatoire dans les trois versants de la fonction publique. Or, ce n’est pas ce que nous demandons. Si les projets de textes avaient prévu que les collectivités délibèrent pour appliquer les taux de remplacement de la rémunération des congés de maladie ordinaire, nous n’aurions pas voté contre.
Telle qu’elle est formulée, la disposition de la loi de finances pour 2025 qui porte la mesure ne permet pas aux collectivités d’aller jusqu’à 100% ?
Aussi bien le ministère de la Fonction publique que Bercy disent que non. Mais un certain nombre de collectivités vont probablement délibérer pour affirmer qu’elles continueront à indemniser leurs agents à 100% en cas d’arrêt maladie. Nous verrons bien ce que feront les préfets.
Ils déféreront probablement les délibérations devant la justice, qui les considérera comme illégales…
C’est possible. Comme pour les délibérations de certaines collectivités qui ont mis en place des autorisations spéciales d’absence pour les agentes souffrant de règles douloureuses ou d’endométriose, et qui ont été jugées illégales. Si l’État veut faire passer la rémunération à 90% pour les arrêts maladie de ses agents – dont une majorité relève de la catégorie A -, qu’il le fasse. Mais qu’il le fasse seulement pour ses agents. 10% de rémunération en moins, c’est beaucoup pour les agents de catégorie C, dont, je le rappelle, la fonction publique territoriale est composée aux trois quarts. D’autant que, pour le moment, les contrats de prévoyance ne couvrent pas cette perte financière. La mesure a aussi pour inconvénient d’alourdir la gestion administrative, avec l’obligation d’ouvrir un dossier à chaque fois qu’un agent est en arrêt maladie. C’est pour cela qu’il serait préférable de maintenir la situation actuelle. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans le secteur privé : les employeurs paient une rémunération à 100% et les indemnités journalières des salariés qui leur sont versées sont calculées à 90%.
Les syndicats de personnels et la coordination des employeurs territoriaux avaient prévu d’engager au deuxième semestre 2024 une négociation pour améliorer le volet santé de la protection sociale complémentaire dans la fonction publique territoriale. Qu’en est-il ?
Nous avons acté ensemble le fait qu’on n’ouvrait pas la négociation maintenant. C’est une question de disponibilité pour les élus locaux et de ressources pour les collectivités. La hausse des cotisations pour la CNRACL [ndlr : le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux] et les mesures d’économies inscrites dans la loi de finances pour 2025 entraînent des tensions sur les finances locales. Dans ce contexte, lorsqu’on dit qu’il faut encore améliorer la protection sociale complémentaire, les associations d’élus locaux répondent dans leur ensemble qu’elles sont d’accord sur le principe, mais qu’il n’y a plus d’argent. Ce n’est donc pas une bonne période pour engager de nouveau une réflexion sur ce sujet, d’autant que nous sommes pour le moment totalement engagés sur l’aboutissement définitif de l’accord de juillet 2023 sur la prévoyance, dont vous savez qu’il fait l’objet d’une proposition de loi sénatoriale que nous soutenons ardemment. Mais cela viendra un jour, que j’espère le plus tôt possible. Les syndicats n’en ont pas fait une ligne rouge. La Coordination des employeurs territoriaux va continuer à les rencontrer. En mars, nous évoquerons ensemble un calendrier de discussions sur de très nombreux thèmes liés à la fonction publique territoriale.